IL FAUT ARRÊTER CETTE SPIRALE DES ENLÈVEMENTS ET REVENIR À L’ÉTAT DE DROIT EN GUINÉE
Arrivée en septembre 2021 au pouvoir à la faveur d’un coup d’État, la junte militaire, dirigée par le Général de Corps d’Armée, Mamadi DOUMBOUYA, avait justifié son coup de force par les dérives du régime du Président Alpha CONDE, notamment l’instrumentalisation de la justice et le piétinement des droits des citoyens et promis de rendre le pouvoir aux civils une fois qu’elle aurait réglé tous les dysfonctionnements des institutions républicaines.
Trois ans après, non seulement les guinéens n’ont pas encore vu l’ombre d’un début de commencement de retour à un ordre constitutionnel normal, mais ceux qui appellent au respect des libertés et des engagements pris, notamment avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) doivent maintenant faire face à une nouvelle forme de banditisme d’État, la disparition forcée, c’est-à-dire « l’arrestation, la détention, l’enlèvement (de citoyens) par des agents de l’État ou par des personnes…qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi ».
Le 9 juillet 2024, Messieurs Billo BAH, Fonike MANGUE et Oumar SYLLA, militants connus pour leur combat en faveur du retour à un ordre constitutionnel normal, avaient été interpellés au domicile de Monsieur SYLLA, en compagnie de Monsieur Mohamed CISSE au moment où ils s’apprêtaient à participer à une manifestation de protestation contre la fermeture de médias privés en Guinée.
Ils ont été enlevés, aux dires de Monsieur CISSE, qui a depuis été libéré, confirmés par des membres de la famille de Monsieur SYLLA, par des hommes en uniformes de la Garde présidentielle et de la Gendarmerie nationale et baladés entre les locaux de l’Escadron mobile No 2 de la Gendarmerie d’Hamdallaye, le Palais présidentiel et l’ile de KASSA ou ils ont été victimes d’actes de torture.
Depuis, et en dépit des interpellations des membres de leurs familles et des organisations guinéennes, africaines et internationales de droits de l’homme, Messieurs Billo BAH, Fonike MANGUE et Oumar SYLLA sont introuvables et les autorités judiciaires guinéennes, garantes de l’exercice des droits et libertés sur le territoire guinéen, sont silencieuses sur le sort réservé à ces défenseurs de la démocratie en Guinée.
Ils ne sont pas seuls puisque le Colonel Célestin BILIVOGUI, radié de l’Armée nationale à la suite de la tentative d’évasion de l’ancien Président Moussa Dadis CAMARA, alors en procès dans l’affaire dite du massacre du stade de Conakry, le 4 novembre 2023, a aussi disparu le 8 du même mois à la suite d’une interpellation à son domicile par des éléments de la Gendarmerie nationale. Il est resté introuvable pendant plusieurs jours malgré les requêtes de sa hiérarchie, de la justice, de son avocat et de sa famille avant que son épouse ne reçoive, le 25 septembre 2024, un appel anonyme lui demandant de se rendre à la morgue d’un hôpital de la ville pour identifier le corps de son mari. Aucune suite judiciaire n’a été donnée à cette affaire rocambolesque.
On peut ajouter à cette liste macabre, les cas du Général Sidiba KOULIBALY, ancien No 2 de la junte et Chef d’État-Major des Armées et de Monsieur Sadou NIMAGA ancien Secrétaire général du ministère des Mines et de la Géologie. Le premier a été arrêté de manière arbitraire et condamné a cinq (5) ans de détention à la suite d’un procès expéditif avant de décéder dans des conditions mystérieuses dans un lieu secret.
Quant au second, il a été enlevé le 8 octobre 2024 dans la cour d’un hôtel du centre-ville de Conakry par des agents agissant à visage découvert. Depuis, son avocat, sa famille et ses proches sont inquiets et rien ne semble pousser les autorités judiciaires à agir dans le sens de l’ouverture d’une information judiciaire.
La RADDHO condamne fermement cette nouvelle forme de violation des droits des citoyens dans un pays dont la Charte de la transition dispose que « les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice garanti aux citoyens » et précise qu’« aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier » la transgression de ces droits humains fondamentaux.
Elle tient les autorités actuelles, le Président de la République et tous les organes de Transition, pour responsables de tout ce qui pourrait arriver aux personnes « disparues » et demande instamment aux organes judiciaires du pays d’ouvrir des enquêtes indépendantes pour faire la lumière sur ces arrestations et disparitions de défenseurs des droits de l’homme et de la Démocratie.
Elle interpelle le Président en exercice et le président de la Commission de la CEDEAO afin qu’ils aident à la libération immédiate des défenseurs des droits de l’homme et à l’arrêt de ces pratiques qui sont incompatibles avec l’appartenance à une communauté économique qui met le respect de la vie et de la dignité humaine au cœur de ses actions.
Elle invite toutes les organisations africaines et ouest-africaines, en particulier, à adresser aux autorités diplomatiques guinéennes dans leur pays des lettres de protestation contre les pratiques barbares des autorités militaires actuelles.
Elle demande enfin à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples de saisir de ce dossier et d’envoyer rapidement une mission d’enquête sur les disparitions forcées en République de Guinée.
Fait à Dakar, le 29 octobre 2024
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